Ce qui distingue vraiment l’asexualité de l’allosexualité

1 à 3 %. Voilà la part estimée d’adultes qui se reconnaissent dans l’asexualité, selon certaines enquêtes d’Amérique du Nord. Un chiffre discret, presque effacé dans le paysage des discussions sur la diversité sexuelle, mais qui en dit long sur notre difficulté à nommer, comprendre, et surtout respecter toutes les variations du désir.

Comprendre l’asexualité et l’allosexualité : des orientations souvent méconnues

La diversité sexuelle ne se limite pas à un inventaire figé de catégories. Elle déborde les lignes qu’on voudrait simples, pour révéler une multitude d’orientations sexuelles et d’identités de genre qui restent, pour beaucoup, confinées à la marge. Parmi elles, la différence entre asexuel et allosexuel ne franchit que rarement les portes du débat public, tant elle semble réservée à des échanges confidentiels.

L’asexualité désigne l’absence, ou la très faible présence, d’attirance sexuelle envers autrui. Contrairement à un cliché tenace, être asexuel ne signifie pas être insensible à la tendresse ou incapable d’affection. Le mot ace (« asexual ») tient désormais sa place dans les conversations sur la diversité sexuelle et de genre. En France, le sujet reste peu quantifié, mais outre-Atlantique, 1 à 3 % des adultes se déclarent concernés. Des collectifs comme AVEN, créé par David Jay, ou l’Association pour la Visibilité Asexuelle (AVA) ont largement contribué à sortir l’asexualité de l’ombre, notamment au sein de la communauté LGBTQI+.

Allosexuel désigne, à l’inverse, toute personne qui ressent une attirance sexuelle, quelle que soit sa forme ou son intensité. Cette expérience du désir sexuel, largement majoritaire, façonne nos normes collectives et s’impose comme une évidence rarement remise en cause. Elle finit par dessiner la norme, reléguant les autres expériences à la périphérie.

Ces dernières années, le spectre asexuel est venu bouleverser ce paysage. Il invite à réexaminer nos conceptions de la sexualité, des relations, du consentement. Dans les rues de Paris ou de Montréal, voir flotter un drapeau asexuel lors des marches des fiertés n’a rien d’anecdotique : c’est une affirmation, une prise de parole longtemps étouffée. De plus en plus, chercheurs, militant·es et soignant·es s’attachent à trouver des définitions claires, qui rendent justice à la singularité de chaque ressenti.

Qu’est-ce qui distingue vraiment une personne asexuelle d’une personne allosexuelle ?

La différence entre asexuel et allosexuel se joue d’abord dans la présence ou l’absence d’attirance sexuelle. Les allosexuels, très nombreux, connaissent le désir sexuel sous des formes variées et dans des fréquences multiples, quel que soit le genre ou l’identité de la personne. Ce schéma façonne la société et ses attentes.

Pour une personne asexuelle, ce type d’attirance se fait rare, voire inexistant. Mais ce constat n’interdit en rien les liens affectifs profonds ou les histoires d’amour. On confond souvent absence de désir sexuel et incapacité à aimer, alors que rien n’est moins vrai. Cette nuance pèse lourd.

Pour illustrer la richesse du spectre asexuel, il existe différentes orientations romantiques :

  • Certaines personnes se définissent comme aromantiques : elles ne ressentent pas d’attirance romantique.
  • D’autres parlent d’homoromantisme, c’est-à-dire une attirance sentimentale envers des personnes du même genre.
  • On trouve également les hétéro-romantiques et biromantiques, selon le cheminement affectif de chacun.

Cette manière de dissocier attirance sexuelle et attirance romantique, particulièrement explorée dans la communauté ace autour de David Jay, met en évidence la distinction entre orientation sexuelle et orientation romantique. Deux trajectoires, souvent indépendantes.

  • Un allosexuel ressent du désir sexuel, qui peut ou non s’accorder avec sa vie sentimentale.
  • Un asexuel peut ressentir de l’amour sans désir physique, ou parfois rien de tout cela. Il existe autant de variantes que de parcours.

Des chercheurs comme Alfred Kinsey ou Magnus Hirschfeld, pionniers de l’étude de la sexualité humaine, ont montré que l’attirance déjoue systématiquement les étiquettes. Chacun raconte sa propre histoire, assume ou tait son vécu, compose avec le regard des autres. À mesure que la parole des personnes asexuelles prend de l’ampleur, notre compréhension de la diversité sexuelle s’enrichit. Les témoignages individuels, souvent discrets, débordent les modèles tout faits.

Nuances, spectre et diversité : l’asexualité, ce n’est pas “tout ou rien”

L’asexualité ne se résume pas à un label, mais s’envisage comme un spectre aux frontières mouvantes. Être « ace », ce n’est pas forcément vivre sans désir, c’est souvent composer avec des besoins variés, des façons personnelles d’envisager l’attirance.

Pour rendre compte de cette diversité, on peut mentionner plusieurs orientations du spectre asexuel :

  • Demisexuel : l’attirance sexuelle n’apparaît qu’après un lien émotionnel profond.
  • Greysexuel : le désir est rare, diffus, difficile à cerner.
  • Lithosexuel : une personne peut ressentir une attirance, sans souhaiter réciprocité ni passage à l’acte.
  • Aegosexuel : l’attirance se vit dans l’imaginaire, sans volonté de concrétisation.
  • Caedsexuel : le désir s’efface après un événement marquant ou douloureux.
  • Placiosexuel : offrir du plaisir à l’autre compte, sans en attendre pour soi-même.

Chacune de ces appellations éclaire une façon singulière de vivre le rapport au corps et au plaisir, loin des modèles dominants. La mosaïque du spectre ace déconstruit l’idée d’une sexualité figée. Les frontières entre orientation sexuelle, genre et expression personnelle restent mobiles, jamais scellées.

La reconnaissance de cette pluralité, portée par le tissu associatif, bouleverse notre vision de l’identité et du genre. Les récits, qu’ils soient partagés en privé ou sur les réseaux sociaux, montrent que chacun invente son propre langage, trace son parcours, choisit ce qu’il souhaite révéler ou préserver.

Pourquoi il faut écouter et respecter les vécus asexuels

Prendre au sérieux l’asexualité, c’est reconnaître des expériences qui, par leur singularité, mettent en cause la pression à la sexualité quotidienne. Cette parole dérange, parce qu’elle résiste au scénario dominant et à ses caricatures. On parle encore trop facilement de froideur ou d’évitement, alors que la réalité est tout autre.

L’invisibilisation pèse lourd, dans la culture et sur Internet. L’hypersexualisation impose ses codes et rend invisibles d’autres manières de vivre les relations. Les modèles ouverts de l’asexualité sont rares, ce qui complique la reconnaissance et le sentiment d’appartenance. Cette absence favorise discrimination et isolement, même dans certains espaces LGBTQI+. Prendre acte de ces vécus, c’est admettre aussi d’autres formes de complicité, d’attachement, de projets à deux ou plus, sans passer par la sexualité.

Le consentement, souvent réduit à une formalité, devient pour de nombreuses personnes asexuelles une préoccupation permanente :

  • Affirmer son autonomie,
  • Résister à la pression sociale,
  • Redéfinir le plaisir selon ses propres repères.

Assumer son coming out asexuel, c’est aussi se heurter à des réalités bien concrètes :

  • Remise en cause de sa santé mentale,
  • Méfiance vis-à-vis de son identité,
  • Violences symboliques, parfois insidieuses, parfois affichées.

Prendre le temps d’écouter ces récits, c’est interroger les normes de couple, élargir la palette des possibles, imaginer une société où chacun, quelle que soit sa trajectoire, chemine librement sans justification. L’asexualité ne relève pas de l’étrangeté ni du secret ; elle existe, tout simplement, et mérite sa place.

En définitive, il s’agit d’accepter des existences multiples, inattendues, parfois déconcertantes. La liberté d’être soi, sans scénario imposé, donne à la société tout son relief. Le jour où ces voix ne seront plus confinées à la marge, chacun aura trouvé un espace où résonner pleinement.

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